Coincés entre des propos relativisant les conséquences de l’exposition aux écrans, ou les pointant avec vigueur, les parents font comme ils peuvent le tri parmi les informations disponibles.
Dans sa prime jeunesse, Nour, 33 ans, infirmière, savait que la télévision n’était pas l’activité la plus didactique du monde puisque sa mère n’hésitait pas à crier «à table !» avant la fin de Midi les Zouzous. À la naissance de sa fille Leïla, le pédiatre lui a dit : pas d’écrans avant 3 ans, «la règle la plus consensuelle en la matière», explique Jonathan Bernard, chercheur à l’Inserm en épidémiologie périnatale, co-rédacteur de l’étude Elfe sur le temps d’écran des moins de six ans publiée en 2023.
À six mois, Leïla était laissée plusieurs heures par jour devant la télévision, puis ce fut la tablette, le téléphone sur lequel elle apprit à lancer vingt-trois fois d’affilée la comptine À la claire fontaine. C’était le confinement, à cinq dans un 63m2, un petit frère venait de naître «et j’étais fatiguée» raconte Nour au docteur Sylvie Dieu Osika lors de la consultation que cette dernière consacre à la surconsommation d’écrans à l’AP-HP de Bondy (Seine-Saint-Denis).
Depuis 2019, cette pédiatre blonde au regard bleu reçoit chaque lundi les enfants dont le développement lui paraît compromis par le visionnage massif de «programmes sans fin», ceux de YouTube Kids en tête. Elle tend une feuille. «C’est un questionnaire rempli par les parents d’une petite-fille.» Ils y ont noté qu’à trois mois, elle regardait la télévision, le téléphone quinze heures par jour. «Avec le temps, j’ai appris à ne plus écarquiller les yeux, sourit la spécialiste. Les parents sont fatigués, pris par le travail et abreuvés par une petite musique relativiste qui dit “les écrans peuvent être pédagogiques”. Vous n’imaginez pas le nombre de fois où j’entends “grâce à sa tablette, mon enfant connaît l’alphabet”. Alors qu’il ne parle pas, ne croise pas le regard…»
Dans ces cas-là, la praticienne recommande de diminuer drastiquement le temps d’exposition. «Parfois les effets sont miraculeux.» Parfois moins. Dès lors la piste d’une pathologie est privilégiée. Leïla qui souffre d’un trouble de l’attention avec hyperactivité (TDA/H), n’a fait que de maigres progrès depuis qu’elle empile des cubes au lieu de tripoter sa tablette. «Son regard est moins fuyant», note cependant le Dr Osika…