Face à la réduction des effectifs et à une remise à plat de l’organisation, les journalistes du quotidien régional ont débrayé, mercredi 29 mai, pour exprimer leur mal-être.
« Climat mortifère », « vieilles méthodes de management par la terreur », « état de stress permanent »… Les mots choisis par les journalistes de Midi Libre pour décrire l’ambiance au sein du quotidien du sud-ouest de la France décrivent une situation sociale tendue. Et expliquent notamment pourquoi une partie des rédactions a décidé de se mettre en grève le temps d’une matinée, mercredi 29 mai.
A l’origine de ce débrayage, un plan de réorganisation devant conduire à 25 mutations jugées « contraintes » par les syndicats. L’objectif de la direction est de créer une nouvelle dynamique et de rééquilibrer une rédaction passée de 186 à 150 postes de journaliste depuis le rachat de Midi Libre par le groupe La Dépêche du Midi, en 2015. « Certaines de ces mutations satisfont les personnes concernées, mais la majorité sont acceptées de mauvaise grâce ou refusées », souligne Guy Trubuil, délégué SNJ.
« Midi Libre » a vu la charge de travail de ses équipes s’alourdir, en particulier depuis que le quotidien a amorcé sa mutation numérique
Ce projet intervient alors que le journal régional souffre depuis plusieurs années d’une santé financière fragile. Ses recettes publicitaires reculent, de même que sa diffusion payée, en chute de 18 % depuis 2014, à 94 460 exemplaires. Résultat, son chiffre d’affaires a baissé de 3,6 millions d’euros ces deux dernières années, à 73,7 millions d’euros en 2018.
Contraint de réduire ses effectifs, Midi Libre a vu la charge de travail de ses équipes s’alourdir, en particulier depuis que le quotidien a amorcé sa mutation numérique. « En plus de faire un journal papier, on doit écrire plusieurs articles par jour sur le site et gérer les réseaux sociaux, déplore un journaliste. Les gens souffrent parce qu’ils ont le sentiment de ne plus pouvoir faire leur travail correctement. »
Les arrêts maladie se sont multipliés au cours des derniers mois, atteignant parfois le quart des effectifs dans certaines agences. La médecine du travail a été alertée sur la recrudescence de ces « burn-out », précise-t-on du côté des syndicats. Les équipes restent marquées par le suicide d’un journaliste à Nîmes, en 2014. En soulignant « le manque d’informations fiables sur les causes de ce drame », le SNJ avait rappelé à l’époque, dans un communiqué, « avoir alerté la direction à son sujet et sur d’autres cas de souffrance au travail au sein de la rédaction ».
« Management autoritaire »
Selon de nombreux journalistes, le climat s’est récemment tendu davantage avec l’arrivée d’un nouveau rédacteur en chef, Olivier Biscaye, en septembre 2018. Plusieurs d’entre eux lui reconnaissent des visites fréquentes dans les rédactions, mais regrettent son « management autoritaire », et « un dialogue impossible » avec lui. « La menace est omniprésente dans son discours, même si elle est sous-jacente », ajoute un journaliste qui tient à rester anonyme.
Ce nouveau rédacteur en chef « a apporté un souffle à la rédaction sur la partie éditoriale, avec un vrai projet sur le numérique et la volonté de faire plus d’interviews au niveau national, observe M. Trubuil, du SNJ. Mais il fonctionne de manière têtue ».
- Biscaye reconnaît que le projet de transformation qu’il a présenté à son arrivée « remet à plat l’organisation et les habitudes de travail », et, en ce sens, a pu créer « un climat de tensions et d’inquiétudes légitimes ». Ce plan de « reconquête », axé notamment sur le Web et la vidéo, reste indispensable « face à la crise de la presse », poursuit le rédacteur en chef, qui assure être « à l’écoute et aux côtés des personnes en arrêt maladie, dont les situations sont variées ».
Avant de prendre les commandes de la rédaction de Midi Libre, Olivier Biscaye a occupé la fonction de directeur des rédactions du groupe Nice-Matin entre 2010 et 2014. Il avait fait l’objet de deux motions de défiance, en 2010 puis en 2014 (elle visait aussi l’actionnaire majoritaire GHM). Romain Maksymowycz, délégué syndical SNJ de Nice-Matin, se souvient d’un directeur « très intelligent », doté d’une « main de fer dans un gant de velours ». « Il comblait son manque d’expérience managériale par des crises autoritaires. »
Pour M. Biscaye, le « cap » engagé à Midi Libre porte déjà ses fruits, l’audience du site Internet du journal ayant nettement augmenté en avril. « Si l’on ne veut pas que notre journal connaisse encore davantage de difficultés, il faut se restructurer, avec un projet qui fédère l’ensemble de la rédaction », conclut-il.