Les repreneurs du quotidien régional ont jusqu’à mardi pour déposer leurs offres. NJJ, le holding de Xavier Niel, est sans doute le mieux placé puisque déjà actionnaire de « La Provence ». Mais Rodolphe Saadé, le patron de CMA CGM, semble déterminé.
« La Provence » suscite les convoitises. Le quotidien régional fait l’objet d’une âpre bataille depuis la disparition de Bernard Tapie, son propriétaire.
Depuis l’appel d’offres lancé par le liquidateur judiciaire fin octobre, quatre groupes ont manifesté, de près ou de plus loin, leur intérêt pour le journal régional : NJJ, le holding de Xavier Niel, Rodolphe Saadé, le président de l’armateur CMA CGM, La Dépêche du Midi (propriétaire de « Midi Libre », notamment) et le groupe d’expertise comptable et de conseils Fiducial (derrière « Sud Radio »). Ils ont jusqu’à mardi pour déposer une offre pour acquérir les 89 % de « La Provence ».
Le candidat le plus naturel est sans doute Xavier Niel, patron de Free, qui possède déjà 11 % du quotidien et est à la tête du voisin « Nice-Matin » . Vendredi, un représentant de NJJ est venu à Marseille détailler ses arguments, en insistant sur l’indépendance éditoriale, mettant en avant un savoir-faire (Xavier Niel est actionnaire du « Monde », a repris « France-Antilles »… ) et ses projets de développement et de transformation, par exemple sur le volet de la publicité ou de la distribution du titre (en portage).
L’une des propositions phares est d’installer une imprimerie commune pour « Nice-Matin » et « La Provence », à mi-chemin, et de mettre en place certaines synergies entre les deux titres (fonctions support, achats de papier, etc.). « Une imprimerie commune est une nécessité industrielle », souligne un connaisseur du dossier.
Droit de préemption
Xavier Niel bénéficie de deux atouts de taille : un droit de préemption, qui lui permettrait théoriquement de remporter la mise en faisant une offre équivalente au mieux-disant, et un droit d’agrément, qui lui permet d’opposer un veto à un nouvel investisseur.
Toutefois, la partie n’est pas gagnée d’avance. D’abord, il existe des incertitudes et des failles juridiques, selon des connaisseurs du sujet. Ensuite, le liquidateur aurait fait entendre à des salariés du groupe La Provence que les droits de préemption et d’agrément n’empêchaient pas une vente à un tiers. Selon « Mediapart », il aurait même tenté – sans succès – de faire voter une résolution en conseil d’administration pour mettre toutes les offres sur un pied d’égalité.
C’est ce qui donne à Rodolphe Saadé l’espoir de l’emporter. Vendredi, il est venu présenter ses intentions en personne aux représentants syndicaux, accompagné du spécialiste des médias Denis Olivennes (« Libération », « Le Nouvel Obs », Europe 1, CMI France…) avec lequel il a élaboré son projet de reprise et de redressement.
Très attaché à Marseille, siège du groupe, et à « La Provence » – qu’il lit quotidiennement -, il veut faire de ce titre régional « une marque indépendante ancrée localement » et lui donner les moyens d’accomplir « sa mutation digitale ». Selon nos sources, son projet industriel ne prévoit aucune suppression d’emploi et sera assorti d’un investissement important pour engager sa modernisation. A plusieurs reprises déjà, la famille Saadé a montré son intérêt pour ce titre.
Synergies
Quant à La Dépêche du Midi, le groupe était encore hésitant, vendredi soir, compte tenu de ces incertitudes juridiques. « Nous ne nous lancerons pas dans une bataille de surenchères, d’autant que ‘La Provence’ nécessite beaucoup d’investissements », explique Jean-Nicolas Baylet, directeur du groupe, qui s’est adjoint un ancien directeur financier de « La Provence », Frédéric Touraille, pour bâtir son offre. « Nous sommes frontaliers et il y aurait des synergies à faire avec nos titres, notamment sur le volet digital sur lequel nous avons de belles réussites », explique-t-il. « Notre coeur de métier est la presse, à la différence de plusieurs repreneurs. »
Le dernier « candidat » – non déclaré -, Fiducial, a aussi pris contact avec les salariés et la direction, mais n’a pas commenté son projet publiquement.
Vente des locaux
Si l’abondance de candidats plaide pour une inflation, il n’est pas sûr pour autant que « La Provence » se paie au prix fort. Différentes estimations ont été faites, dont l’une valorisant le quotidien une quarantaine de millions d’euros. Mais les estimations comprennent la vente des 2,4 hectares de hangars et parkings inutilisés sur ce site flanqué au coeur du projet de rénovation urbaine Euromed 2. Une promesse de vente de 36 millions d’euros aurait été signée ces derniers jours avec le promoteur Cogedim.
« Il y a les velléités et la réalité des chiffres et des perspectives. Pour soutenir le titre, le repreneur devra faire beaucoup d’investissements. Il préférera sans doute investir que de surpayer le liquidateur, souligne Jean-Clément Texier, banquier d’affaires spécialiste de la presse. ‘La Dépêche du Midi’ s’est vendue il y a quelques années 15 millions et le quotidien était alors en meilleure forme que ‘La Provence’ »
Même s’il bénéficie d’une marque forte et connue, « La Provence » (environ 75.000 exemplaires en diffusion France payée) a souffert, comme nombre de médias, de la crise sanitaire . Le groupe devrait afficher un chiffre d’affaires autour de 70-80 millions d’euros (avec « Corse-Matin ») cette année et aurait subi une perte de 9,3 millions d’euros en 2020. Le résultat net, qui était nul en 2017, n’a cessé depuis de se dégrader selon nos informations (700.000 euros de pertes en 2018, puis 2,9 millions en 2019). Les pertes pourraient toutefois être ramenées à 4,5 millions en 2021.
Le nom du repreneur devrait être connu avant les fêtes de fin d’année. D’ici là, des rebondissements sont à prévoir.
Lire : Les Echos du 28 novembre