Les sécheresses déciment les forêts françaises. Les arbres, qui recouvrent un tiers du pays, ont une mobilité trop lente pour s’adapter au réchauffement climatique.
Dans la forêt vosgienne de Masevaux (Haut-Rhin), les sapins ont viré au rouge. Environ 10 % d’entre eux sont déjà morts, épuisés par les sécheresses et les vagues de canicule à répétition. Une quantité similaire de hêtres a dépéri chez nos voisins suisses, au point que le gouvernement jurassien s’est déclaré en situation de « catastrophe forestière » début juillet.
« On a des dégâts importants, notamment dans l’est de la France, à cause des sécheresses répétées de l’année dernière », déplore Brigitte Musch, responsable du Conservatoire génétique des arbres forestiers à l’Office national des forêts (ONF). Le réchauffement climatique met en effet les plantes à rude épreuve.
« Dès qu’on est dans des situations de sécheresses intenses, la plante est en état critique », explique Nicolas Viovy, spécialiste en modélisation des écosystèmes terrestres au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE). A Beaune-d’Allier, au-dessus de Clermont-Ferrand, ce sont près de 80 % des arbres qui ont ainsi dépéri dans une parcelle surveillée par l’ONF, d’après La Lettre du Département de la santé des forêts (DSF) de juillet portant sur l’année 2018.
Avec 73 départements soumis à des restrictions d’eau à la date du 24 juillet, la France est particulièrement touchée, cette année encore, par la sécheresse. Celle-ci va « accentuer l’assèchement des sols superficiels », avertit Météo-France, alors que de nombreuses régions connaissent déjà un « déficit de pluviométrie marqué » depuis un an. Le manque d’eau et la chaleur écrasante devraient par conséquent fragiliser le parc forestier français.
Surchauffe ou embolie
Normalement, « l’arbre transpire, ce qui lui permet de maintenir ses feuilles cinq à dix degrés en dessous de la température ambiante », explique M. Viovy. En cas de sécheresse et de forte chaleur, l’arbre se retrouve en « stress hydrique » et réagit de deux manières différentes. Soit il ferme ses « pores » pour éviter de se déshydrater, mais risque alors la surchauffe, soit il sollicite beaucoup d’eau mais court d’autres risques. « L’eau transite par de petits canaux et s’il y a une demande trop forte en eau, on a une embolie. Des bulles d’air s’insèrent dans les canaux, ce qui coupe la circulation et c’est irrémédiable », détaille le spécialiste.
Or les situations de stress hydrique se multiplient. Les canicules, autrefois espacées, sont désormais quasi annuelles. Sans compter que les effets de ces températures extrêmes sur les forêts françaises en juin et juillet 2019 pourront encore se faire sentir dans dix ans. « On place les plantes dans des positions qu’elles n’ont jamais connues. Un hêtre habitué à un maximum de trente, voire trente-cinq degrés, n’est pas constitué pour survivre à des pics à quarante », fait remarquer Hervé Cochard, directeur de recherche à l’INRA de Clermont-Ferrand. D’après le chercheur, les plantes sont déjà « sur le fil du rasoir ». En 2012, il avait coécrit une étude qui montrait que 70 % des espèces étaient déjà au bord de l’embolie.
Un rythme de migration trop lent
Alors les espèces végétales s’organisent et migrent vers des contrées moins chaudes. Gabrielle Martin, chercheuse au Muséum d’histoire naturelle, a participé à une étude publiée (en anglais) le 10 juillet dans Biology Letters, qui fait la démonstration que la flore change rapidement sous l’effet du réchauffement climatique en France métropolitaine. « En France, depuis 2009, il y a de plus en plus d’espèces à température préférentielle élevée [adaptées à la chaleur] comme le brome de Madrid », explique-t-elle.
L’étude montre aussi que les espèces qui se renouvellent en un an s’adaptent plus vite que les espèces pérennes. Mais les arbres, dont certaines essences peuvent vivre des centaines d’années, ont une mobilité trop lente pour s’adapter au réchauffement actuel. « Sur une échelle très longue, les espèces vont progressivement migrer. Mais là, le changement climatique est extrêmement rapide ! Il va s’installer sur un siècle, c’est le temps de vie de certains arbres », alerte Nicolas Viovy, du LSCE.
Pour protéger les forêts qui couvrent un tiers de son territoire, la France s’organise. L’ONF a notamment lancé le « projet Giono » depuis 2011. Les correspondants-observateurs de l’organisme récupèrent par exemple des graines de la forêt de la Saint-Baume, près de Marseille, pour les planter à Verdun, dans la Meuse.
« Les arbres du Sud ont développé des allèles [de mêmes gènes] qui permettent de mieux résister aux sécheresses. On les fait donc migrer pour qu’ils enrichissent les autres. Cela permet d’améliorer leur résistance future en créant des hybrides, même si cela risque de ne pas suffire », explique Brigitte Musch, responsable du Conservatoire génétique des arbres forestiers à l’ONF.
« Il faut changer drastiquement de mode de vie »
Beaucoup d’incertitudes demeurent sur les capacités d’adaptation des arbres. Des expérimentations sont mises en œuvre pour trouver la solution la plus adéquate. « On propose à des gestionnaires forestiers d’implanter des chênes sur un demi-hectare dans des zones plus chaudes, par exemple, et on observe la manière dont ils survivent », explique la généticienne de l’ONF.
Les chercheurs sont, pour l’heure, assez pessimistes. « Si on continue sur la lancée des émissions actuelles de CO2, le système forestier français ne va pas résister. Il faut changer drastiquement de mode de vie sinon les écosystèmes ne s’en sortiront pas. Mais ce qui est désolant, c’est qu’on le dit depuis les années 2000, et ça ne change rien », s’inquiète Hervé Cochard, de l’INRA. Même si Brigitte Musch estime que la situation n’est « pas encore irréversible », elle met en garde : si les arbres déclinent, « ils n’absorbent plus de gaz carbonique », ce qui « amplifie le réchauffement climatique ».