L’empreinte environnementale du numérique, déjà élevée, continue de croître de façon exponentielle, menaçant autant le climat et la biodiversité que les efforts de transition écologique. Dans un avis publié en janvier 2025, l’ADEME préconise un développement plus responsable de ce secteur.
La matérialité du virtuel
Pendant longtemps, le passage au numérique était mis en avant comme
un geste écologique, qui évitait les impressions sur papier et les
déplacements.
Mais il s’est vite accompagné d’une surconsommation d’équipements. « Chaque
rupture technologique induit la commercialisation de nouveaux
appareils, que les entreprises et les ménages achètent, soit pour
remplacer prématurément les anciens, soit en complément, constate Raphaël Guastavi, directeur adjoint Économie circulaire de l’ADEME. Or,
leur fabrication nécessite de l’énergie, de l’eau et des matières,
comme des métaux, dont l’extraction minière est émettrice de gaz à effet
de serre, source de pollution et de perte de biodiversité. » Sans
parler du manque de souveraineté de l’Union européenne sur certains
métaux stratégiques, dont la Chine détient le monopole. En plus du
besoin de sobriété, il faut développer le recyclage des déchets
d’équipements électriques et électroniques (D3E), pour limiter les
risques d’indisponibilité de ces ressources. Une pénurie serait non
seulement problématique pour le secteur, mais surtout pour la transition
écologique, puisque la décarbonation de l’énergie et de l’industrie
s’appuie sur ces mêmes matières.
L’emballement des usages
En deux ans à peine, l’empreinte carbone du numérique en France a doublé, passant de 17 à 29,5 MtCO2e par an.
Cela
s’explique par la prise en compte d’enjeux qui n’avaient pas encore été
identifiés lors de la précédente étude, comme l’hébergement de nos
données dans des data centers à l’étranger. Cela s’explique aussi par la
multiplication et l’intensification de nos usages. Notre quotidien est
fait de visioconférences, de réseaux sociaux, de streaming, de documents
partagés sur des clouds… Et de nouveaux services digitaux ne cessent de
s’y ajouter. « Si le numérique ne représente “que” 4 % des
émissions de carbone dans le monde aujourd’hui, on assiste à un
emballement très inquiétant, alerte Raphaël Guastavi. Il faut en prendre conscience. »
D’autant qu’il y a des effets rebonds. Avec le télétravail, par
exemple, des salariés choisissent de déménager loin de leur entreprise.
Résultat : ils font moins de déplacements quotidiens, mais chaque trajet
est plus long, ce qui revient sur l’année à davantage de kilomètres au
total. Délocaliser son bureau à domicile requiert par ailleurs l’achat
de matériel informatique supplémentaire. Surtout, les derniers chiffres
publiés par l’ADEME portent sur le numérique en 2022, soit avant
l’avènement de l’intelligence artificielle (IA) générative.
Le poids de l’intelligence artificielle
Le numérique représente déjà 4,4 % de l’empreinte carbone de la
France. Cela pourrait être trois fois plus en 2050 si des mesures pour
limiter son impact ne sont pas prises.
Les IA génératives comme
ChatGPT ou Midjourney suscitent un tel enthousiasme qu’elles s’invitent
dans tous nos outils : moteurs de recherche, smartphones… Les data
centers se multiplient partout dans le monde pour les faire fonctionner.
Résultat : l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit une
hausse de plus de 75 % de leur consommation électrique d’ici à 2026. « En deux ans ! Pas en dix ni vingt ans, souligne Mathieu Wellhoff, chef du service Sobriété numérique à l’ADEME. Les géants du secteur reconnaissent eux-mêmes qu’ils auront du mal à remplir leurs engagements climatiques. » Microsoft, dont les émissions de CO2
ont augmenté de 13 % depuis 2020, vient de relancer la centrale
nucléaire de Three Mile Island, vieille de plus de 50 ans, pour
sécuriser ses approvisionnements en électricité. Google mise sur le
développement des miniréacteurs nucléaires (Small Modular Reactors),
alors que cette technologie est encore loin d’être éprouvée. D’autres
comptent sur la construction de centrales nucléaires plus classiques,
sachant qu’aucune ne peut sortir de terre en deux ans. En attendant, les
États relancent leurs centrales à charbon. Au rythme actuel, certains
spécialistes se demandent s’il y aura assez d’énergie pour tout le monde
en 2030. Même chose pour l’eau, utilisée pour refroidir les data
centers : en cas de restriction, doit-on privilégier les besoins du
numérique ou ceux de l’agriculture ?
Que faire pour limiter l’impact ?
Prolonger la durée de vie des appareils et résister aux sirènes de la
nouveauté est la réponse la plus évidente à cette question.
« Pourquoi
changer de téléphone au bout de deux ans, ou même quatre, si le nôtre
fonctionne encore et répond déjà à nos besoins ?, s’interroge Mathieu Wellhoff. Quand
on doit absolument renouveler nos équipements, les appareils
reconditionnés sont une bonne option. Mais cela ne doit pas être une
excuse pour en changer souvent, au risque de rendre la revente trop
facile et d’inciter les acheteurs de première main à surconsommer. » Par ailleurs, du côté des fabricants, il y a un travail à faire sur l’obsolescence. « Plutôt
que de mettre chaque année de nouveaux modèles sur le marché, les
marques devraient accompagner la montée en puissance du
reconditionnement industriel, en améliorant la réparabilité de leurs
produits. L’écoconception devrait, par ailleurs, contribuer à la
fabrication d’appareils plus fiables, avec de meilleures performances
énergétiques, et plus faciles à recycler. »
À consommer avec modération
L’écoconception et l’allongement de la durée de vie des appareils ne
suffiront pas à compenser notre consommation effrénée de services
numériques.
L’ADEME invite donc à prioriser nos usages. « Il n’est pas question de supprimer tous les outils et services digitaux »,
rassurent Raphaël Guastavi et Mathieu Wellhoff. Certains sont des
opportunités pour l’écologie : ils aident, par exemple, une collectivité
à mieux gérer son éclairage, une industrie à faire de la maintenance
préventive et un agriculteur à optimiser son arrosage. En revanche, il y
a de fausses bonnes idées, susceptibles de retarder les efforts
nécessaires à la transition écologique. Ainsi, dans l’industrie, ce
n’est pas un nouvel outil de pilotage énergétique qui va réduire le
bilan carbone d’une usine, si rien n’est fait pour en isoler les
conduits de vapeur ou électrifier les chaînes de production. Du côté des
consommateurs, l’ADEME recommande plus de sobriété numérique. « Le
message est d’autant plus difficile à faire passer que beaucoup de gens
sont encore dans l’idée que le virtuel est dématérialisé, donc
écologique, reconnaît Mathieu Wellhoff. C’est un gros changement culturel à opérer. »