Le Parlement européen a de nouveau modifié ce texte controversé du Pacte vert, au risque de le fragiliser, et de faire échouer le report d’un an de son entrée en vigueur. Le vote marque une alliance entre la droite et l’extrême droite, pour la première fois sur une loi européenne.
Nouvelle polémique à Bruxelles autour de la loi européenne sur la déforestation. Jeudi, le Parlement européen a introduit de nouvelles modifications sur cette loi cruciale mais très controversée du Pacte vert, dont les ambitions avaient déjà été revues à la baisse, et que la Commission européenne propose, en plus, de reporter d’un an.
Les eurodéputés ont adopté une série d’amendements proposés par les conservateurs du Parti populaire européen (PPE), dominant au Parlement, visant à assouplir ce texte qui interdit une série de produits issus de la déforestation comme le café, le boeuf ou encore le bois. La complexité de ces règles fait hurler le Brésil, les Etats-Unis ou encore, au sein même de l’UE, l’Allemagne.
Ces amendements n’étaient pas prévus. Le Parlement ne devait voter jeudi que sur le report d’un an de la loi – elle devait à l’origine entrer en vigueur le 30 décembre -, proposé par la Commission début octobre et soutenu par les Etats membres de l’UE.
« Risque zéro »
Le texte étant modifié, il nécessite désormais de nouvelles négociations entre les colégislateurs européens (Conseil, Parlement, Commission), pour déterminer sa forme finale, ce qui rallonge d’autant le processus, avec le risque de faire échouer le report. Car si aucun accord n’est trouvé avant la fin de l’année, la loi entrera en vigueur le 1er janvier 2025, sans aucune modification.
Le PPE s’est dit convaincu qu’un accord peut être trouvé à temps, mais rien n’est sûr à ce stade, car l’un des amendements votés fait polémique.
Certes, en dernière ligne droite, le PPE a retiré plusieurs amendements – sur les traders, les opérateurs économiques, et celui demandant un report de deux ans au lieu d’un -, la gauche et une partie des centristes les considérant comme une tentative de vider le texte de sa substance.
Mais celui créant une nouvelle catégorie de risque, appelée « risque zéro », pour exempter des pays d’une partie des obligations, a été maintenu et voté. A l’origine, le texte prévoyait trois catégories (risque faible, moyen et élevé).
Inacceptable pour les opposants : ils expliquent que les critères du PPE conduiraient à ce que la Chine soit dans la catégorie sans risque, rendant ainsi plus facile, demain, l’importation du bois de Chine que de France ou de Finlande…
Alliance de la droite et l’extrême droite
Les opposants contestent par ailleurs le déroulement du vote, en raison d’une panne de machine. « Renew, les Verts et les Socialistes & démocrates vont entamer un processus juridique », indique Pascal Canfin, eurodéputé Renew, qui réclame un nouveau vote, les votes clés ayant été très serrés.
Ils pointent en outre que le vote marque une alliance entre la droite et l’extrême droite, pour la première fois sur une loi européenne, à rebours donc de l’alliance de juillet entre le PPE, les sociaux-démocrates et les centristes pour reconduire Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne.
Le PPE, lui, affirme défendre « les entreprises européennes » pour qu’elles « ne soient pas injustement pénalisées par des charges administratives excessives », selon l’eurodéputée française Céline Imart (LR).
Complexe à mettre en oeuvre, le texte impose notamment aux entreprises de prouver que les matières premières ayant servi à la conception des produits qu’elles vendent en Europe n’ont pas été cultivées sur des terres déboisées ou dégradées après 2020.
Nouvelle négociation
« Plus d’un million de citoyens européens ont réclamé une loi forte pour protéger les forêts et ils l’ont obtenue en 2022. Il est honteux qu’aujourd’hui, le PPE ait abandonné son soutien à cette loi, nécessaire à la lumière de l’urgence climatique, et se soit allié aux partis populistes et d’extrême droite pour l’affaiblir », a déclaré Sébastien Risso, directeur de la politique forestière de Greenpeace pour l’UE.
La Commission a désormais le choix entre retirer sa demande de report d’un an, ce qui ferait tomber les amendements, ou réunir les trois colégislateurs en vue de parvenir à un accord, hypothèse qui semble la plus probable.
Dans ce cas, la position des Vingt-Sept sera particulièrement scrutée car jusqu’ici, un accord n’a été possible qu’à la condition que les pays soient traités sur un pied d’égalité. En coulisses, la bataille entre la France, l’Allemagne, la Finlande, la Suède ou la Roumanie, pour savoir si ces pays sont à classer dans la catégorie « faible risque », ou « sans risque », aurait déjà commencé… Il n’est donc pas acquis que le Conseil européen valide la création de la catégorie « risque zéro » dans le texte.
Lire : Les Echos du 14 novembre