L’Europe exclut le livre du règlement sur les retards de paiement, une victoire pour les libraires !
La Commission européenne a présenté, en 2023, un projet de règlement sur les retards de paiement entre entreprises prévoyant de plafonner à 30 jours les paiements dus aux fournisseurs, pour toutes les entreprises européennes, sans exception.
Grâce à l’action déployée depuis de nombreux mois par le Syndicat de la librairie française (SLF) et la Fédération européenne des libraires (EIBF), dont il est membre, le Parlement européen vient d’introduire une dérogation à cette mesure au profit des librairies. Les délais de paiement, dans le secteur du livre, pourront donc continuer à être librement négociés entre le libraire et son fournisseur.
Le SLF tient à remercier l’EIBF, les parlementaires européens qui ont voté en faveur de l’exclusion du livre du règlement européen, les acteurs de la filière ainsi que les ministres de la Culture et de l’Économie français, pour leur soutien.
Un texte inadapté et dangereux
Depuis des mois, le SLF et l’EIBF, se sont employés à faire comprendre aux autorités européennes que ce plafonnement des délais de paiement représentait une menace majeure pour les librairies et l’ensemble des filières du livre sur notre continent.
En effet, le texte européen :
- N’opérait aucune distinction entre les petites entreprises créancières, celles qui vendent à de grands groupes, et les petites entreprises débitrices, celles qui achètent à de grands groupes. Si les premières pâtissent souvent de retards de paiement de la part d’opérateurs puissants dont elles dépendent économiquement, les secondes, à l’inverse, à l’instar des librairies, appliquent les délais de paiement qui leur sont imposés par des fournisseurs plus puissants. Le règlement européen menaçait donc une filière pour régler un problème qui ne se posait pas en son sein…
- Ne prenait pas en compte les enjeux culturels propres aux librairies et au livre, en particulier la saisonnalité de l’activité et les faibles rotations des ouvrages. Ces faibles rotations s’expliquent par la nature même des livres dont la majorité a besoin de temps pour rencontrer le public et par la fonction des libraires de ne pas limiter leur offre aux seules meilleures ventes mais, au contraire, d’offrir aux lecteurs des ouvrages de création plus inattendus.
En librairie, un livre se vend ainsi, en moyenne, au bout de 100 jours à partir de sa date d’achat. Il aurait été incompréhensible d’obliger les libraires à payer au bout de 30 jours un livre qui se vend au bout de 100 jours. Le plafonnement des délais de paiement aurait également pénalisé les éditeurs de création et leurs auteurs.
Ce sont d’ailleurs ces spécificités qui avaient permis au SLF d’obtenir, en 2010, dans la loi française, une première dérogation au plafonnement des délais de paiement à 45 jours, dérogation que le texte européen aurait remise en cause.
En outre, des parlementaires européens avaient proposé d’appliquer, pour les libraires, le principe de « réserve de propriété », système proche du « dépôt », selon lequel les ouvrages en librairie restaient la propriété des éditeurs et ne leur étaient réglés qu’une fois la vente effectuée. Le SLF avait dénoncé « un remède pire que le mal » qui aurait conduit à régler plus rapidement les éditeurs de « best-sellers » et plus tardivement les éditeurs d’ouvrages à rotation lente, à modifier en profondeur l’organisation logistique et financière de la filière et, surtout, qui aurait fait des libraires les « mandataires » des éditeurs, en contradiction totale avec leur statut d’indépendant.
Une menace directe pour les librairies
A l’appui de son travail de conviction auprès de la Commission et du Parlement européens, le SLF avait confié au cabinet Xerfi une étude visant à mesurer l’impact d’un raccourcissement à 30 jours des délais de paiement en librairie.
Cette étude confirmait :
- Les délais de paiement longs actuellement en vigueur en librairie : 76 jours en moyenne pour l’ensemble des produits vendus en librairie et entre 80 et 90 jours pour les seuls livres ;
- Les rotations lentes des livres : un livre se vend en moyenne au bout de 100 jours à partir de sa date d’achat ;
- L’important besoin en fonds de roulement : du fait de la faible rotation des stocks et de la saisonnalité de l’activité, les libraires ont déjà, en moyenne, un mois de cycle d’exploitation à pré-financer ;
L’impact d’un raccourcissement des délais de paiement à 30 jours aurait été sans appel :
- Un « choc de trésorerie », c’est-à-dire un besoin immédiat de trésorerie supplémentaire dans les librairies, de plus de 110 millions d’euros ;
- Sans compensation financière, 1/3 des librairies françaises, soit 1 300 librairies, auraient été incapables d’absorber, sur leurs fonds propres, le surplus de trésorerie nécessaire au financement de la réforme. Elles se seraient trouvées en situation de cessation de paiements ;
- Les 2/3 des librairies restantes auraient utilisé, en moyenne, 75% du montant total de leurs fonds propres pour amortir le coût de la réduction des délais de paiement. Par conséquent, elles auraient été très fortement fragilisées notamment pour financer un cycle de trésorerie déjà déficitaire (la marge générée par les ventes ne suffit pas à couvrir les charges de l’entreprise) entre janvier et août.
Que prévoit l’exception pour les librairies et la filière du livre ?
Les parlementaires européens ont adopté, le 23 avril, une mesure excluant le livre du plafonnement des délais de paiement. L’ensemble de la filière est concerné, de la fabrication à la vente. Cela signifie que les délais de paiement entre les libraires et leurs fournisseurs resteront, comme aujourd’hui, librement négociés.
Le règlement européen étant « d’application directe », il sera introduit en l’état dans le droit français sans possibilité de modification.
Lire : sur le site du SLF, publié le 24 avril
Télécharger : le communiqué de presse (3 pages)
Télécharger : l’étude Xerfi sur les délais de paiement, mise à jour en février 2024 (17 pages)