Sur les écrans, la presse souffre face aux plateformes de streaming vidéo et aux réseaux sociaux, avec des conséquences directes sur la souscription d’abonnement et les recettes publicitaires. Elle pourrait perdre encore du terrain avec la concurrence de l’IA. L’issue reste à trouver.
Il faut avoir un naturel optimiste pour parier sur l’avenir de la presse, tant les mauvaises nouvelles s’accumulent. Aux Etats-Unis, un rapport du cabinet Challenger fait état de 3.087 suppressions de postes en 2023 dans l’information (numérique, télévisée et papier), au plus haut depuis 2020.
Certains titres en pointe dans la transition digitale, comme le « Washington Post » ou le « LA Times », ont licencié ces derniers mois une partie de leur rédaction. D’autres ont fermé, comme Vice.com ou Gawker. Si bien qu’en février dernier, le « New Yorker » s’interrogeait : « Les médias sont-ils prêts à l’extinction de masse ? » « La fin de l’âge des médias de masse est proche » écrivait le « Financial Times » fin mars. Une ambiance d’apocalypse règne dans le secteur.
En France, le tableau n’est guère plus réjouissant. Selon le dernier baromètre social des Assises du journalisme, 12 titres de PQR ont été concernés en 2023 et en 2024 par un plan social ou un dépôt de bilan. Dans une étude publiée en janvier, l’Arcom prévoit que les recettes publicitaires de la presse devraient, au total, chuter d’un tiers d’ici à 2030.
Guerre de l’attention
Enfin, la course aux abonnements numériques, qui ont fourni une voix de sortie aux quelques titres ayant atteint la taille critique, tourne à l’embouteillage. Selon Mind Media, la croissance moyenne du nombre d’abonnés numériques aux sites d’information français est tombée à 7 % en 2023, contre 8 % en 2022, 11 % en 2021, 37 % lors de l’année du Covid-19, et autour de 20 % entre 2017 et 2019.
Ces mauvaises nouvelles ont une racine commune : sur écran, ce ne sont pas assez souvent des contenus de presse que les internautes viennent chercher, mais plutôt des vidéos sur les réseaux sociaux, des jeux vidéo, des séries ou de la musique. Autant de vainqueurs, au détriment des médias écrits, de la guerre de l’attention.
Le dernier baromètre de la consommation des contenus culturels de l’Arcom en atteste. Entre 2019 et 2023, le taux d’internautes français de plus de 15 ans ayant consommé de la presse en ligne est passé de 35 % en 2019 à 29 % en 2023. Dans le même temps, il grimpait de 47 % à 55 % pour les films, de 42 % à 49 % pour les séries et de 34 % à 38 % pour les jeux vidéo, tandis que le taux de consommateurs de musique en ligne se tassait autour de 50 %, après avoir bondi dans les années 2010.
Les réseaux sociaux s’éloignent de la presse
En 2021, une étude de la fondation Descartes indiquait déjà que les Français ne consacraient que 3 % de leur temps en ligne à la consultation d’informations médiatiques, soit moins de cinq minutes par jour. Les réseaux sociaux en ont pris acte et prennent leur distance avec la presse. Quand Meta a bloqué les sites de médias au Canada, la décision n’a eu aucune incidence sur l’audience de Facebook, révélait Reuters en août dernier. Depuis lors, le réseau social a fermé en avril son onglet « news » aux Etats-Unis et en Australie, après l’avoir fait notamment en France.
Autre singularité inquiétante de la presse : l’âge de ses adeptes. La presse sur écran est reine chez les plus de 60 ans, qui sont 38 % à en consommer sur Internet (ce qui en fait le divertissement en ligne le plus répandu dans cette catégorie d’âge), selon l’étude de l’Arcom. Chez les 15-24 ans et les 25-39 ans, en revanche, elle est largement dépassée par les films, la musique, les jeux vidéo et les séries. Seuls 19 % des 15-24 ans sont des consommateurs de presse en ligne.
A la recherche de l’attention perdue
Comment alors regagner l’attention perdue ? La régulation peut jouer un rôle, pour forcer l’émergence de contenus d’information fiables, dans l’océan des fake news. Consulté lors des Etats généraux de la presse, le Conseil économique social et environnemental préconise l’instauration sur les réseaux sociaux d’une « certification spécifique aux journalistes professionnels et aux agences de presse », qui devrait être prise en compte par les algorithmes des plateformes « afin de privilégier les contenus issus de journalistes et d’agences de presse certifiés ».
Les groupes de presse tentent aussi et surtout s’adapter aux nouveaux usages, en se développant, avec un certain succès d’audience, dans la vidéo ou le podcast, pour toucher une cible plus jeune. Sans réussir encore à en tirer des revenus substantiels. Une révision des formules d’abonnement est aussi envisagée par certains, dont l’éditeur du « Washington Post », William Lewis, qui a souligné dans un entretien au média américain « Semafor » l’intérêt de modèles de passes à la journée ou à la semaine, ou de donations comme au « Guardian ».
Enfin, l’IA offre une opportunité prometteuse, à double tranchant. Source potentielle de nouveaux services (personnalisation, résumés, lecture audio, traduction, etc.) et de revenu, comme l’ont illustré les accords récents du « Monde » et Axel Springer avec OpenAI, l’IA risque d’être demain une concurrente redoutable… L’intégration de l’IA générative dans des moteurs de recherche menaçant de court-circuiter les sites d’information, l’expert des médias Frédéric Filloux, ancien des « Echos », compare, dans sa newsletter « Episodiques », l’alliance entre les acteurs de la presse et ceux de l’IA, à la fable de la grenouille et du scorpion. Une histoire qui ne se termine pas bien.