Avec 31 millions de dollars levés cette année, le matériau composite de la start-up française s’impose comme une solution crédible pour les secteurs de la mode, de l’automobile et de la construction. Et ce sans dommage pour les forêts ou pour l’environnement.
Après le retour de la voile dans la marine marchande, voici le bois érigé comme matériau phare des années à venir. L’époque serait-elle à la nostalgie ? Répondre par l’affirmative serait céder à une forme de facilité, tant ces procédés rétrofuturistes, outre leur intérêt écologique bien réel, font appel à des technologies de pointe. Et puis, le bois n’a pas été relégué partout dans le monde au rang d’exception dans le secteur de la construction, il s’en faut.
C’est le constat que fait Timothée Boitouzet, lorsqu’il commence ses études d’architecture au Japon : « Contrairement à l’Europe, où le bois est associé à un vieux matériau, il est au coeur de l’innovation dans ce pays. J’ai ainsi eu l’opportunité de travailler sur le stade olympique du Japon, dont la structure est en bois, ou sur des bâtiments parasismiques en bois. » Passionné par les questions environnementales autant que par les plans de construction, Thimothée Boitouzet décide de se pencher sur la question fondamentale des matériaux pour rendre les bâtiments plus durables. Rappelons qu’ils sont responsables de 40 % de la consommation énergétique dans le monde, la majeure partie du fait de la fabrication des éléments – verre, acier, béton – dont ils sont constitués.
Le jeune architecte retourne donc sur les bancs de l’école, Harvard puis le Massachusetts Institute of Technology (MIT), pour potasser les cours de biologie, chimie et physique afin de trouver un moyen d’améliorer les qualités intrinsèques du bois grâce à la technologie. Après une première expérience aboutie sur un matériau composite à base de bois, il rentre en France pour fonder, en 2017 près de Troyes, la société Woodoo.
Bois composite résistant au feu, aux insectes et à l’humidité
Avant de poursuivre, une petite autopsie de ce matériau abondant et durable – à condition que la forêt soit bien gérée – s’impose. « Le bois est constitué essentiellement d’air, entre 50 % et 90 %, de lignine, de cellulose et d’hémicellulose, explique Thimothée Boitouzet. La lignine, qui sert de liant entre les fibres, est le point faible de l’ensemble : elle n’est pas résistante à l’humidité, elle sert de nourriture aux insectes, elle ne lie pas la structure de manière très efficiente. » Les équipes de Woodoo ont donc trouvé un moyen pour retirer du bois un volume plus ou moins grand de lignine, ainsi que l’air qui rend notamment le matériau très combustible.
Ensuite, à la place des éléments retirés, est injecté un mélange de résines concocté par Woodoo, dont la recette est variable selon la destination de ce matériau composite. De quoi lui conférer davantage de robustesse et de souplesse d’usage que la matière première originelle. Si les résines ne sont pas forcément biosourcées, l’ensemble reste plus vertueux que les matériaux qu’il se destine à remplacer : rien de moins que le verre, l’acier ou le cuir.
Avec cette technologie protégée par une cinquante de brevets, Woodoo a en effet mis au point trois matériaux composites différents, appelés Slim, Flow et Solid. Le premier, destiné notamment à l’industrie automobile, est un genre de bois translucide pouvant remplacer le verre tactile utilisé pour certaines interfaces dans les voitures. Le second est un succédané du cuir, réservé au secteur de la mode et du luxe, tandis que le dernier, Solid, peut se substituer à l’acier, au béton ou à l’aluminium pour la construction des structures des bâtiments.
Certifications nécessaires pour le bâtiment
Si le secteur de la construction est, à terme, son objectif principal car le potentiel de décarbonation y est le plus grand, Woodoo a fait le choix de se concentrer d’abord sur les secteurs du luxe, de l’automobile et du textile, avec ses matériaux Slim et Flow. « Nous avons souhaité émerger sur des marchés de niche à haute valeur ajoutée, où les volumes nécessaires sont plus faibles », indique le fondateur de la start-up.
Une stratégie validée par les investisseurs, avec un premier tour de table de 31 millions de dollars réalisé il y a quelques mois auprès notamment du fonds Lowercarbon Capital. Cette manne a permis à la société de lancer tout récemment sa première unité de production à La Chapelle-Saint-Luc, dans l’Aube. D’une capacité de production de 14.000 m2 de matériaux Flow et Slim, elle compte d’ores et déjà comme clients des géants de l’automobile anglais et allemands, ainsi que des grandes sociétés du luxe françaises. Woodoo fait savoir que ses matériaux sont compétitifs face aux éléments qu’elle compte remplacer, grâce notamment au faible coût de sa matière première. « Le mètre cube de peuplier coûte 1 % du prix de l’acier », assure ainsi le président.
Pour l’alternative à l’acier dans le bâtiment, il faudra encore patienter – au moins jusqu’en 2026. Mais le potentiel est, là encore, gigantesque. « Avec une résistance à la flexion de 300 mégapascals, nous sommes presque aussi efficaces que l’acier avec 370 MPa, et bien mieux que le béton ou encore que le bois classique qui reste autour de 35 MPa. » La start-up est actuellement accompagnée par le Centre scientifique et technique du bâtiment pour obtenir les certifications nécessaires à l’emploi de son matériau dans le secteur du BTP.
Impact environnemental impressionnant
En matière d’écologie, le « super-bois » de Woodoo présente un bilan incomparable avec les matériaux qu’il est censé remplacer. Ainsi, tout en étant trois fois plus léger que le verre, Slim dégage sept fois moins de CO2 lors de sa fabrication. Flow n’est pas en reste: biosourcé à 96 % et recyclable à 92 %, il n’émet que 0,92 kg équivalent CO2 par mètre carré contre 19,3 kg eq CO2 pour le cuir de veau. Enfin, Solid émet, par kilo produit, 0,06 kg de dioxyde de carbone contre 1,8 kg pour l’acier… et 14 kg pour l’aluminium. Des performances exceptionnelles qui s’expliquent avant tout par celles de la matière première, qui capte du CO2 tout au long de sa croissance.
Mais ce n’est pas tout. Les technologies de Woodoo peuvent utiliser comme ressource n’importe quel type de bois. « Parmi les centaines d’essences constitutives des forêts, seules une quinzaine, comme le frêne ou le chêne, sont très présentes sur le marché avec un fort potentiel commercial, déclare Timothée Boitouzet. Le reste finit soit en bois de chauffage, soit en pâte à papier. » C’est parmi ces essences mal aimées et très disponibles, comme le peuplier, le sycomore ou le bouleau, que la start-up vient piocher sa matière première. Et le tout dans des forêts locales, gérées durablement et certifiées PEFC ou FSC.
Surtout, la ressource paraît inépuisable. « Nous avons calculé que le taux d’accroissement de la forêt européenne était de 250 millions de mètres cubes par an, soit l’équivalent du béton employé sur le continent », fait savoir le fondateur. Enfin, la lignine extraite du bois par Woodoo pourrait également servir dans l’industrie, pour fabriquer les fameux solvants benzène, toluène et xylène (BTX) par exemple, aujourd’hui issu de la pétrochimie. Une technologie plus que prometteuse, permettant de faire flèche de tout bois.
Lire : Les Echos du 31 octobre