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L’homme qui redonne vie aux livres anciens

Han Nôm Duong est le premier établissement privé du Vietnam spécialisé dans la reliure de livres anciens, notamment des archives en caractères chinois ou sino-vietnamiens. Un projet ambitieux porté par Bùi Tiên Phuc, “docteur des livres” vivant à Hô Chi Minh-Ville.

Localisée dans une petite ruelle du 12e arrondissement, assez loin du centre-ville, l’entreprise Han Nôm Duong est une destination connue pour ceux qui veulent redonner un coup de jeune à leur bibliothèque. Bùi Tiên Phuc, son propriétaire, et sa femme taïwanaise Chen Pei Xuan, font revivre avec passion d’anciens livres et des manuscrits inédits rédigés en caractères chinois ou sino-vietnamiens.

Diplômé d’un master en la matière à Taïwan (Chine), le jeune homme est rentré au Vietnam après six ans d’études, avec l’ambition de se lancer dans la préservation des archives papier, véritable patrimoine culturel du pays, en utilisant son savoir-faire et les nouvelles technologies. Sur sa terre natale, Tiên Phuc se donne corps et âme à son projet, à tel point que ses amis le surnomment affectueusement le “docteur des livres”.

De nouvelles techniques de restauration

Créé en 2019, Han Nôm Duong a déjà redonné vie à de nombreux ouvrages et manuscrits très anciens, et même à des tableaux ou à des documents gravés sur des stèles.

Les étapes principales pour une reliure classique d’un ancien livre sont normalement les suivantes : la plaçure, la couture, la couvrure et la finissure. Mais ici, chez Han Nôm Duong, les relieurs cherchent également à contre-coller du papier, une étape difficile qui nécessite du temps et de la patience pour ne pas déchirer les pages. Selon Tiên Phuc, c’est la restauration des tableaux qui lui semble le plus difficile. Ces ouvrages ont traversé le temps et les aléas climatiques, ce qui peut parfois provoquer un casse-tête pour les relieurs qui cherchent à leur faire retrouver leur forme originelle. Le propriétaire a cherché à importer des nouvelles technologies de restauration au Vietnam, en particulier la technique en papier marbré, grâce à laquelle Tiên Phuc et ses collègues ont réussi à restaurer de nombreuses peintures antiques. “En passant en revue les résultats, je me sens fier de ce travail significatif que je poursuis avec patience et volonté”, a-t-il confié.

Les succès et la réputation dans la communauté des relieurs que le jeune homme originaire de la province Binh Thuân (Centre) a obtenus sont le fruit d’années d’études et de travail sans relâche. “J’ai connu ce métier dès ma rentrée à l’Université des sciences sociales et humaines de Hô Chi Minh-Ville, où j’ai étudié la langue chinoise et sino-vietnamienne et les patrimoines sino-vietnamiens de notre pays. Ces études m’ont permis de me plonger dans une palette variée de documents dans cette langue, ce qui a nourri davantage mon amour pour ces patrimoines précieux”, a raconté le propriétaire de Han Nôm Duong. Il a travaillé ensuite à la bibliothèque de Huê Quang qui est pionnière dans la collection et la préservation des patrimoines bouddhistes sino-vietnamiens. Tout cela a suscité une forte motivation en lui, de sorte qu’il a décidé de poursuivre avec passion ce métier de relieur de livres anciens.

Le jeune homme n’oublie jamais de mentionner dans son parcours académique à Taïwan, où il a reçu une bourse pour faire son master sur la préservation des patrimoines culturels à l’Université de Fo Guang. Durant ces six années, Tiên Phuc y a travaillé sans relâche pour à la fois gagner de l’argent et enrichir ses connaissances et expériences en fréquentant nombre de musées et d’ateliers dédiés à la restauration des anciens livres, manuscrits et archives historiques. Quels que soient les obstacles qu’il a trouvés sur sa route, le jeune Vietnamien a su les surmonter pour approfondir toujours plus ses connaissances en reliure et restauration.

Tiên Phuc se dit chanceux d’avoir reçu des soutiens de ses collègues, amis mais aussi et surtout de sa famille. En effet, sa femme taïwanaise Chen Pei Xuan, diplômée de l’Académie d’art de Chicago (États-Unis), a refusé de très prometteuses opportunités d’emploi pour venir s’installer au Vietnam et travailler aux côtés de son mari. Ils sont ainsi devenus deux compagnons de route inséparables.

“Nombre d’anciens objets précieux du Vietnam sont écrits en caractères sino-graphiques, ce qui a suscité en moi un grand intérêt pour la culture vietnamienne. Quand Tiên Phuc a partagé avec moi sa passion pour la reliure des anciens livres, j’ai décidé d’être à ses côtés dans ce parcours certes difficile mais ô combien enrichissant”, a précisé la jeune femme.

C’est une amie de Tiên Phuc, Nguyên Ngoc Anh, directrice adjointe de la Bibliothèque nationale du Vietnam, qui l’a conseillé en 2018 de créer un établissement spécialisé en restauration et reliure pour qu’il puisse poursuivre sans réserve sa passion. Ce projet lui permet de “travailler indépendamment ou en collaboration avec des universités ou des centres de préservation”, a rappelé Tiên Phuc. Il a pu concrétiser cette idée dès son retour au Vietnam, prenant par là un grand risque alors que le couple organisait leur mariage et que l’argent devenait une préoccupation importante pour eux. Mais encore une fois, la passion l’a emporté sur toute autre considération.

Rapidement, son entreprise s’est fait connaître et a reçu de nombreuses demandes pour la reliure d’anciens documents. Il a fallu au couple former une nouvelle équipe mais les candidats ne sont pas nombreux. “Ce métier difficile et pas très bien payé n’intéresse pas trop les jeunes, davantage tournés vers les nouvelles technologies”, a détaillé Tiên Phuc.

Pour sensibiliser la jeune génération aux métiers du livre, lui et sa femme ont ouvert des formations pour les étudiants et les passionnés.

“Ma formation initiale n’avait aucun lien avec ce métier. C’est un nouveau travail qui m’a poussé à acquérir un nouveau savoir-faire et une technique précise”, a affirmé Thùy Linh, une apprentie à Han Nôm Duong.

“Les défis auxquels nous faisons face sont plus difficiles que ce que nous avions prévu. Mais si notre objectif avait été seulement de gagner de l’argent, ma femme et moi ne serions jamais retournés au Vietnam ! Avec nos diplômes et expériences, nous aurions pu facilement trouver un emploi très bien payé : enseignement, traduction de livres ou simplement interprète pour de grandes entreprises, au lieu de nous consacrer jour et nuit à la reliure”, a exprimé Tiên Phuc.

Une fois que Han Nôm Duong aura atteint un rythme de fonctionnement satisfaisant, son patron espère avoir le temps de transmettre davantage son savoir-faire d’artisan-relieur aux étudiants. Son ambition n’est rien d’autre que de faire connaître plus largement le métier de restaurateur d’anciens livres. “Je continue actuellement de traduire tous les livres concernant les techniques de reliure des documents de mes professeurs de Taïwan ou même du Japon et d’autres pays. Le but est de propager des connaissances fondamentales sur les techniques de restauration. J’aimerais organiser plus d’ateliers ou de causeries mettant en valeur ce métier, et son importance dans la préservation des patrimoines culturels du pays”, a partagé le jeune homme à propos de ses projets, sans cacher son aspiration de voir son métier gagner en réputation.

Avec la force de caractère et la passion qui caractérisent Tiên Phuc, on peut faire le pari que l’atelier Han Nôm Duong sera un précurseur important dans le secteur de la restauration des livres anciens.

 

Lire et voir : Le Courrier du Vietnam du 28 janvier

 

Jean-Philippe Behr

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