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Vivendi-Lagardère : la presse people, l’autre sujet de concurrence qui préoccupe la Commission

Bruxelles s’inquiète des risques de concentration posés par l’opération dans l’édition, mais aussi dans le secteur de la presse people, la combinaison de « Paris Match », « Voici » et « Gala » pouvant donner naissance à « un leader puissant » selon elle. Une approche que Vivendi peut contester.

Quand la Commission européenne a décidé d’ouvrir une enquête approfondie sur le rachat de Lagardère par Vivendi, le 30 novembre, la décision n’a étonné personne. L’exposé des motifs recelait pourtant une surprise. Bruxelles s’inquiète non seulement, comme prévu, du regroupement des géants de l’édition française Hachette et Editis, dont le repreneur n’est pas encore connu, mais aussi des conséquences de la fusion Vivendi-Lagardère sur la presse people.

Dans un communiqué, la Commission précise craindre que « l’opération, en combinant trois magazines people (‘Paris Match’ de Lagardère et ‘Gala’ et ‘Voici’ de Vivendi), puisse donner naissance à un leader puissant sur le marché », et « qu’une telle situation ne nuise à la qualité, à la diversité et aux prix, aux dépens des lecteurs de ce type de magazine. »

Réunis, les trois titres atteignent une diffusion payée en France de 814.652 exemplaires sur l’exercice 2021-2022, selon les données de l’ACPM. Soit un peu plus que le total des principales publications concurrentes, « Closer » chez Reworld Media, « France Dimanche », « Ici Paris » et « Public » chez CMI France, et « Point de vue » chez Royalement Vôtre Editions, dont le cumul des ventes se monte à 767.317 exemplaires sur la même période.

« Picture magazine »

Mais dans les discussions en cours entre Vivendi et la Commission, le groupe contrôlé par Bolloré a des arguments à faire valoir, selon les professionnels. Pour commencer, la classification de « Paris Match » dans la catégorie « people » est contestable. En France, la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) le range parmi les titres d’information politique et générale (IPG), ce qui ouvre droit à certaines aides et avantages fiscaux. Ni « Voici », ni « Gala » n’en font partie. « Match » y figure aux côtés notamment de « newsmagazines » comme « Le Point », « L’Express » et « L’Obs », avec lesquels le journal peut aussi revendiquer une proximité dans son traitement de l’actualité.

En réalité, « Match », dans la lignée des anciens magazines américains « Look » et « Life », se place à mi-chemin, avec pour spécificité la place laissée au photojournalisme. « Selon les normes anglo-saxonnes, ‘Match’ est un ‘picture magazine’ – un magazine illustré -, classe qui se différencie des ‘newsmagazines’, et non un people comme ‘Voici’ et ‘Gala’ », rappelle Jean-Clément Texier, fin connaisseur de l’industrie des médias et président de Ringier France. C’est bien dans cette catégorie que le classent les agences médias, qui ne considèrent pas « Match » comme un people.

La politique, l’actualité internationale, le reportage trustent ainsi les 10 dernières couvertures de « Paris Match », tandis que celles de « Voici », sur la même période, étaient presque toutes consacrées à la vie intime de célébrités. L’information people est toutefois bien présente dans « Match », comme en témoigne la rubrique du site qui y est consacrée.

Marché pertinent

Le profil de lectorat des trois titres est aussi différent. Celui de « Paris Match » est plus âgé. Les plus de 65 ans y représentent 46 % des lecteurs, selon l’étude One Next Global 2022 S2, contre 32 % chez « Gala » et 25 % chez « Voici ». Il est aussi un peu plus mixte, les femmes représentant 63 % du lectorat, contre 71 % pour « Voici » et 74 % pour « Gala ».

En conséquence, les trois n’attirent pas exactement les mêmes catégories d’annonceurs. « Paris Match » contient des campagnes institutionnelles et des marques de luxe, qu’on ne retrouvera pas chez « Voici » et « Gala », rapporte un bon connaisseur du marché. Les titres rivalisent certes sur certains secteurs comme la mode, l’hygiène-beauté ou la distribution, mais l’automobile-transport ou la finance-assurances, qui achètent régulièrement des pages de publicités dans « Match », sont beaucoup plus rares, voire absents, des deux titres de Prisma, selon les données de Kantar.

Enfin, le groupe peut jouer sur la définition de ce que les juristes nomment le « marché pertinent » – les limites du champ concurrentiel que considère la Commission. « Ils peuvent arguer que celui-ci doit être élargi au Web, devenu le terrain de jeu majeur de ce type d’information, » pointe Jean-Clément Texier. Des sites comme Purepeople (groupe Webedia) sont ainsi devenus des concurrents de poids dans ce secteur.

« Vivendi a des arguments de poids à faire valoir pour écarter cette qualification de concentration, sur un secteur en réalité mal défini » conclut-il. La question est plus délicate dans l’édition, où Vivendi doit se séparer d’Editis pour conserver Hachette. Il doit dévoiler avant fin janvier le nom du ou des repreneurs des 29,5 % du capital détenus par le groupe Bolloré – qui contrôle Vivendi – dans Editis. La Commission européenne s’est donnée jusqu’au 23 mai pour annoncer sa décision sur l’ensemble du dossier.

 

Lire : Les Echos du 9 janvier

 

Jean-Philippe Behr

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